Ma partenaire est veuve : quels impacts sur notre relation ?

By Emma Pearson

March 29, 2024

Publié le 4 avril 2021, écrit le 26 mars 2021

Crédit photo: Sarah Treanor www.streanor.com, amie chère et veuve elle aussi

Bonjour. Mon prénom est Neil, alias « Medjool ». Depuis juin 2019, j’ai l’immense chance d’être entré dans la vie et le cœur d’Emma, qui tient ce blogpost. Emma a perdu son mari, Mike, voici 4 ans maintenant. Elle a également perdu leur plus jeune fille, Julia, qui s’est suicidée il y a 21 mois. Ainsi que son frère cadet Edward et un très bon ami Don, quelques années auparavant.

Voici quelques temps, Emma m’avait proposé de témoigner, dans ce blog, sur mon expérience de « nouveau » partenaire d’une personne en deuil, et veuve en particulier.  Je le fais ici avec enthousiasme, tout en soulignant d’emblée deux limites à l’exercice.

D’une part, chaque relation étant unique, je ne cherche aucunement à diffuser, par le récit qui suit, des enseignements utiles pour autrui : je crois simplement que c’est dans le croisement, la friction de nos expériences et nos récits individuels, de nos questions, de nos doutes que nos regards s’enrichissent.

Et d’autre part, le deuil fait aujourd’hui partie intégrante d’Emma, ma partenaire. Je ne puis donc distinguer, dans notre manière de nous aimer, ce qui est lié ou non à ses deuils.

Ces préambules étant posés, je reprends la question de départ : Quels sont les impacts du veuvage, des deuils de ma compagne, sur notre relation ? Qu’est-ce qui, de ce point de vue, diffère, dans cette relation, de celles que j’ai eues auparavant ?

S’aimer tout en préférant que cette relation n’ait jamais pu exister 
La première réponse puise dans l’absurdité dont est faite la mort elle-même : j’ai pu entrer dans la vie d’Emma parce que Mike est décédé. Et non pas parce qu’elle avait quitté Mike précédemment. Puisque j’aime Emma, une part de moi souhaiterait qu’elle puisse toujours avoir, aujourd’hui, à ses côtés, non pas moi-même, mais Mike. Et puisqu’elle l’aime profondément, comment pourrait-elle ne pas préférer cela aussi ? « You are Number Two, not Second Best », me dit-elle régulièrement à ce sujet. S’aimer et préférer que cette relation n’ait jamais pu exister : j’ai assez rapidement classé cette contradiction absurde dans ces côtés insondables, non rationalisables de la vie, qui me dépassent et que j’accepte ainsi.

Le(s) deuil(s) de l’autre : une richesse phénoménale
La deuxième réponse puise dans ma conviction que nous « choisissons » (ou alors est-ce du déterminisme ?) nos relations en fonction de leur potentiel à nous faire grandir. Dit autrement : être en couple avec une personne comme Emma, qui traverse le deuil mais surtout qui le fait dans un travail personnel profond, c’est avoir le privilège d’observer de près sa traversée et ce qu’elle mobilise. C’est pouvoir apprendre, moi-même, comment mieux accompagner celles et ceux qui sont frappés de deuil, comment m’accompagner moi-même lorsque cela m’arrive (j’ai perdu ma propre mère l’année passée). C’est aussi apprendre à accepter ma propre finitude. Et, SURTOUT et par effet miroir, c’est apprendre à mieux vivre aujourd’hui, à travers une présence accrue, davantage de gratitude, de compassion, de courage notamment.

Une invitation à aimer plus encore : soi-même et l’autre
Le deuil est extraordinairement éprouvant et mobilise parfois toutes nos ressources. De ce fait, Emma est, sporadiquement, peu disponible à la relation. Et ces indisponibilités ne sont – comme toutes fluctuations émotionnelles – pas programmables dans nos agendas et peuvent apparaître par exemple au milieu d’un week-end romantique à la montagne. Cela va se manifester par son retranchement, mon propre sentiment d’impuissance pour l’aider, voir ma propre interrogation quant à la pertinence de rester ou m’en aller et lui laisser ainsi de l’espace.

Dans ces situations difficiles pour moi, deux voix s’expriment alors dans ma tête : l’une m’incite à me taire : « Qui es-tu pour oser te plaindre, alors que tu n’as aucune idée de l’ampleur de ce que traverse Emma ? ». L’autre voix m’incite, elle, à l’introspection : Si je devais prendre l’Amour pour conseillère, que me dirait-elle ? Comment mieux m’aimer moi-même dans cette situation et ne pas dépendre de l’amour d’Emma, et donc ne pas lui en vouloir ? Et comment aimer vraiment Emma dans cette situation, avec compassion, en acceptant de voir sa souffrance sans pouvoir l’aider ?

Bref : comme en toutes choses, j’apprends ici que REAGIR à la vie, en espérant par-là panser mes propres blessures, ne me mène nulle part. Si j’avais choisi Emma dans le secret espoir de me donner un rôle en l’aidant à ma façon, de me sauver ainsi moi-même d’un quelconque sentiment d’abandon par exemple en la sauvant, elle, de sa situation, alors notre relation n’aurait sans doute jamais commencé. En revanche, ses moments d’indisponibilité affective sont autant d’invitations, pour moi, de revenir à moi-même, à mieux prendre soin de moi, et à AGIR alors, par amour, envers Emma, après m’être réassuré de mon propre ancrage dans mon corps, mon cœur et mon esprit.

Enfin et à ce sujet : bien sûr, de telles indisponibilités affectives arrivent dans tous les couples. Mais elles sont alors liées à des situations de vie – tensions professionnelles, fatigue, etc – aux apparences bien moins « légitimes » qu’un deuil. Il est alors plus tentant de simplement en vouloir à l’autre. Lorsque l’autre est endeuillé, un tel raccourci n’est plus possible.

Ménage à trois
Et puis Emma me l’avait dit dès le début de notre relation : Mike fera toujours partie de sa vie et elle l’aimera toujours. Ses portraits sont nombreux dans sa maison et nous parlons régulièrement de lui. Une sorte de ménage à trois :  elle, Mike et sa mémoire, et moi.

A ma propre surprise, cela ne me dérange aucunement. Bien au contraire : j’aime Mike, bien que je ne l’aie – malheureusement – jamais connu.

Je l’aime, parce qu’il a partagé presque 30 ans d’amour et de bonheur avec Emma d’une part.

Mais aussi parce que, à travers ceci, Emma a fait l’expérience d’une relation de longue durée heureuse et a le savoir nécessaire à la construction d’une étoffe aussi solide : capacité d’écoute, de dialogue, générosité d’attention à elle-même, à moi et à la relation. Des savoirs – à teneur de ma propre expérience – pas si fréquents sur les sites de rencontre et donc très attractifs pour quiconque est en recherche d’une relation qui puisse disposer des conditions réellement nécessaires à se construire, grandir et fleurir.

Enfin, j’aime Mike parce qu’il connait si bien Emma que, dans les rares situations où je suis désemparé, où je ne sais plus que faire face à ses douleurs notamment, je peux lui demander conseil. Et qu’il me répond chaque fois, depuis mon propre cœur.   

En conclusion

Notre société n’aime pas la mort.

Mais cela n’empêche pas les personnes endeuillées d’aimer la vie. Au contraire : accompagner un.e conjoint, un.e proche jusqu’à sa mort, c’est toucher au sacré de la vie.

Pour moi, partager ma vie avec une personne veuve et aux deuils multiples m’amène à habiter mieux encore cette vie, à la célébrer chaque jour, dans l’amour. Une tâche qui n’est bien sûr pas simple tous les jours, mais où les quelques accrocs, de facto remis à leur juste place, deviennent alors source de croissance.

Alors oui : il peut y avoir une ou d’autres vies sentimentales après la perte de son ou sa partenaire. Deuil et nouvelle(s) relation(s) affective(s) ne sont pas incompatibles, heureusement. A condition de donner une place à ces deuils dans la relation, comme à toute autre expérience de vie préalable de chacun des partenaires.

Ecrit pour l’anniversaire d’Emma, le 27 mars 2021.

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4 thoughts on “Ma partenaire est veuve : quels impacts sur notre relation ?

  1. Merci Neil pour ce généreux partage. Je suis heureux pour Emma de savoir que quelqu’un de si fin et généreux l’accompagne. J’ai connu Emma lorsque nous travaillions tous deux chez Medtronic et elle m’avait marqué par sa sensibilité et intelligence du cœur. Tous les articles qu’elle poste sont très précieux et le vôtre apporte un point de vue rare et qui donne à réfléchir.
    Merci, merci, merci. Embrassez Emma de ma part.
    Nicolas

  2. La mort et l’amour sont très intimement liés, ils nous enrichissent si nous savons les accepter. Merci pour ce texte Neil et plein de belles choses à vous. Amitiés

  3. Cher Neal
    Merci pour ce texte, cette réflexion positive sur ta relation, de ta place dans cette belle relation ou tu semble évoluer avec bonheur.
    Quand à moi, je dois avouer n’avoir jamais penser côtoyer une « veuve », mais une personne au cours de son voyage sur cette terre…
    Non pas que j’ignore son passé, omniprésent comme le mien, mais en voyant notre relation comme deux voyageurs qui prennent la route de la vie , ensemble avec l’expérience enrichissante des voyages effectués avant.
    Pas de comparaison, pas de tristesse, juste la poursuite de notre voyage , sans jamais renier, pleurer ce qui nous forgé et préparé à ce voyage.
    La vie me semble un long parcourt, beau, souvent peu juste et ensemble nous le parcourons avec l’envie et l’espoir d’y participer le mieux possible avec les armes et la sensibilité acquise tout au long de notre route..
    Voilà , ma manière de voir ma relation avec ma «  veuve »
    Amitiés à tous
    Damien

  4. Ouff que tu arrives à point nommé Neil . Je débute une relation avec une femme dont je suis devenu amoureux profondément et je souhaite m’élever aussi et de savoir que tout cela est vécu aussi par d’autres m’aide énormément car des questionnements et des doutes peuvent émerger de temps à autres !
    Merci

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